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Interview

Julien Urbain, SK 2004, entrepreneur en Chine : "Trouvez ce qui vous fait vibrer!"

23 mai 2018 Interview

Passionné de la Chine (du Sud !), travailleur acharné, Julien Urbain a créé plusieurs sociétés entre Hong Kong et Canton. Après le trading, il s'est spécialisé depuis 2012 dans la commercialisation de produits sous licence. A une heure très tardive, sa journée de travail sans doute pas encore tout-à-fait achevée, Julien a pris le temps de raconter son aventure professionnelle, guidée par une grande soif de liberté.


lepetitjournal.com : Votre parcours professionnel s'est essentiellement déroulé dans le Guangdong, cette province de la Chine qui touche Hongkong. Pourquoi ici et pas ailleurs ?


Julien Urbain : Je connaissais cette région pour y être venu dès 1991. J'ai terminé mes études à l'ESC Lille (SKEMA) en 2004. J'avais fait le programme de formation pour adulte que l'on intègre après quelques années d'expérience et une licence. J'avais une expérience de 2 ans aux USA et 2 ans en Belgique. Je suis arrivé à Canton (Guangzhou) en février 2006 en tant que responsable export pour une usine qui appartenait à un fournisseur d'Audio club, la société pour laquelle je travaillais. J'ai été débauché. L'usine fabriquait du matériel d'animation (enceintes, luminaires pour les stades etc). A l'époque, il n'y avait pas beaucoup d'usines technologiques plus au nord de la Chine.
Ce travail s'est formidablement mal passé ! (rires) Quelques mois après mon arrivée, je suis allé sur un salon à Pékin et en rentrant à Canton j'ai appris que l'usine avait été vendue. Je ne savais pas que l'usine n’était même pas déclarée !

Après quelques semaines en Europe, je suis reparti en Chine. J'ai repris un poste de directeur export pour une usine beaucoup plus grosse, mieux organisée, tout en les prévenant que je souhaitais ouvrir rapidement ma première boite de trading à Hong Kong.

Vous cherchiez une idée pour avoir votre propre entreprise ?

Oui et j'ai donc monté cette trading qui au départ était spécialisée en matériel audio. Assez vite, elle s'est beaucoup élargie en termes de produits parce que c'est un marché de niche. Je me suis spécialisé dans les produits de grande distribution, je suis devenu fournisseur de fournisseurs et plus particulièrement des produits sous licence comme Hello Kitty, Disney, Bob l’éponge, pas mal de licences pour enfants au départ. Hong Kong est la ville parfaite pour faire du business, les sociétés ne payent pas d'impôts sur les bénéfices faits à l’export.

Depuis 2009, je me creusais la tête pour trouver un business à faire sur la Chine directement, et faire de moins en moins d’export. Les Chinois se développant de plus en plus, j’ai cherché une opportunité. En 2012, j'ai fini par créer une autre structure à Hong Kong, License2Dream et j'ai acheté mes premières licences pour le marché chinois (Bob l’éponge et Dora l’exploratrice). En 2013, j'ai créé ma société chinoise, à Canton. On ne peut pas vendre sur le marché chinois sans avoir une société chinoise sinon c'est considéré comme de l'importation (même si les produits sont fabriqués en Chine, à partir du moment où on facture de l'étranger c'est considéré comme de l'importation et les taxes d’importation sont particulièrement élevées en Chine).

Vous avez donc développé une production industrielle ?

Au départ, j'achetais à des usines chinoises, il y avait une partie création, recherche… Je dessinais les produits que je faisais valider par mon licensor (c’est toujours le cas). Je faisais produire dans le Guangdong, et je commercialisais sur la zone Chine/Hong Kong/Macao. Je n'avais aucune activité usine.

En 2012, je suis devenu un des fournisseurs du groupe français FDG qui crée et distribue des gammes de produits à destination de la Grande Distribution pour de nombreuses catégories de produits (accessoires de beauté, habillages de présentoirs) notamment pour des produits ELLE.
En 2015 en prenant ELLE via FDG, j’ai monté une activité de mise en packaging. Je n'ai pas de production réellement. C'est ce qu'on appelle du « Jia Gong », du travail ajouté. C'est un packaging en tube type plexiglas. Je source les produits et leur packaging (bouchons, rubans, cartons etc.). Tous les produits passent par chez moi, je contrôle la qualité à la réception des marchandises, et à la sortie. C'est très avantageux, car j'ai un taux de produits défectueux très faible. Mon principal client pour les produits ELLE, c'est Watson’s, 2.800 points de vente en Chine, depuis juillet 2016. Les erreurs à cette échelle font mal, je ne voulais pas laisser aux usines le soin de le faire. J'ai employé jusqu'à 61 personnes. La partie usine est un défi permanent qui me plait énormément. Je fais face à des choses difficiles à anticiper, il faut trouver des solutions tous les jours. C’est une grande expérience !


Quand on a la licence de produits en Chine, comment lutte-t-on contre la concurrence de la contrefaçon ?

Canton est la capitale de la contrefaçon ! J'ai toujours choisi des catégories de produits qui ne valent pas le coup d'être copiées. Un T-shirt coûte entre 2 et 8 dollars à fabriquer et est vendu 30 $. Si une contrefaçon est vendue à 12 dollars, le profit dégagé vaut la peine. Mais sur une pince à épiler ? Une barrette Dora L’exploratrice ? Les licences en Chine, c'est bien mais pas sur des produits qui valent cher. Il faut le prendre en compte dans son business plan.

Vous avez du avoir des contraintes ? Comment s’y retrouver par exemple dans les documents administratifs à fournir, surtout lorsque l'on travaille en chinois ?

La Chine est le pays où l'on est le plus libre au monde. Comme disent les Chinois, dans le nord, vous pensez ce que vous voulez, dans le sud on fait ce qu’on veut.
En plus de mon énorme motivation, j'ai eu la chance d'avoir des appuis. Je ne m'en serais jamais sorti sans ma famille d’accueil chinoise. Lorsque je suis arrivé ici, j'ai pris un appartement et les propriétaires sont devenus ma famille d’adoption. Ils m'invitaient à diner trois fois par semaine. Je suis devenu le grand frère des deux filles, on s'échangeait des cours de français, d'anglais, de chinois. Ils ont été d'un soutien incroyable, en permanence. Sans eux, je n'y serais jamais arrivé. Par exemple, cela s’est mal passé avec une jeune assistante que j'ai licenciée en période d’essai. Elle a voulu me faire chanter et a appelé plein d'organismes gouvernementaux différents qui venaient sans arrêt me contrôler. Jusqu'au moment où cette histoire est arrivée aux oreilles de ma propriétaire. Du jour au lendemain je n'ai plus été embêté.

La Chine ne marche que grâce à son réseau de relations, les guanxi, pour moi d'une façon relativement saine dans le sens où on ne peut pas en abuser. C'est un réseau qui sert à faire du bien. Cela a toujours été des coups de mains amicaux. Je n'ai pas vu de personnes profiter de leur pouvoir. Cela peut arriver mais en général il y a deux justices en Chine, la loi et celle du réseau de relations. Et plus la cause est juste, plus le réseau va se mobiliser parce que personne n'a envie de se mouiller pour une crapule. C'est ça la Chine, l'entraide et la liberté.


Chacun a sa chance. Les Chinois montent des sociétés tous les jours,
certains font faillite, d'autres font fortune. Ici, on ne regarde pas le pedigree, il n'y a pas d'aristocratie, de loi du plus fort.

 

Vous n'auriez pas trouvé cette liberté en France ?

Je crois que les Français me posent problème. J'ai probablement manqué d’expérience et de conseil juridique dans la lecture du contrat avec FDG. Aujourd’hui, je suis en procès avec eux.
La licence ELLE se terminera pour moi fin 2018. Ils m'ont utilisé pour ouvrir le marché chinois. Le financement n'a pas été à la hauteur, j'ai de nouveau dû financer moi même, et ils ne sont pas montés au capital. J'ai remis tout ce que j'ai gagné en 11 ans dans ce projet. J'ai reçu un courrier au mois d'avril 2017 me disant que je n'avais plus la sous-licence en Chine. A tort !
Les enjeux sont énormes pour moi. Ce n’est pas facile psychologiquement. Une défaite totale sur ce dossier me planterait 11 ans de vie.
C’est un vrai casse-tête. Le problème pour moi est qu’avec cette même licence, FDG a en France à peu près 150 références. J'en ai commercialisé 25 chez Watson's et je ne peux plus en développer. Si je le fais, je me mets en faute vis-à-vis d'ELLE, et je ne le souhaite pas.
Pour l’instant, je continue à livrer ces références et à facturer pour que mon chiffre d’affaires me permette de rembourser. Je suis déjà prêt à repartir sur d’autres marques. J'ai réussi à monter une usine en deux mois, à livrer Watson's, je ne vais pas m'arrêter là ! J'ai un manque à gagner certain mais le plus pénalisé à la fin ce sera eux !
C'est un rappel des raisons qui m'ont fait quitter la France. C'est pour ça que je me sens bien en Chine. Chacun a sa chance. Les Chinois montent des sociétés tous les jours, certains font faillite, d'autres font fortune. Ici, on ne regarde pas le pedigree, il n'y a pas d'aristocratie, de loi du plus fort.


Quel conseil donneriez-vous aux jeunes d'aujourd'hui ?

Ouvrez vos yeux et vos oreilles non seulement durant vos études mais sur tout ce que vous pouvez. Trouvez ce qui vous fait vibrer. Ce n'est pas forcement des produits ou domaines, cela peut être un challenge, et foncez tant que vous le pouvez !


Propos recueillis par Marie-Pierre Parlange

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