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Interview

Estelle Philibert: S'expatrier avec enthousiasme et ouverture d'esprit

30 octobre 2018 Interview

Après quelques années dans la dermo-cosmétique en Europe, Estelle Philibert (SK 1997) est partie comme « conjoint suiveur » en Chine. A force de travail et d’audace, elle a pu poursuivre sa carrière et est maintenant directrice marketing retail chez Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à Hong Kong pour la zone Asie-Pacifique. Un métier qu’elle aime, comme l’Asie dont elle a su se nourrir, pour se réinventer.

 

Vous êtes directrice marketing retail de la zone Asie-Pacifique chez Pierre Fabre Dermo-Cosmétique depuis 4 ans. Pouvez-nous nous présenter les particularités de ce secteur ? 

La dermo-cosmétique propose des marques de soins pour la peau et pour les cheveux, dont l’efficacité et la tolérance sont cautionnées par des professionnels de santé, notamment pour convenir aux peaux les plus sensibles. Notre R&D est internalisée et nous sommes très exigeants sur le choix, le nombre et le dosage des ingrédients qui composent nos formules. La région APAC distribue plusieurs marques du groupe Pierre Fabre : Eau Thermale Avène jouit de la plus forte notoriété, mais Klorane, René Furterer, Aderma et Ducray sont des acteurs importants.
Le circuit traditionnel de la pharmacie européenne n’ayant pas d’équivalent direct en Asie-Pacifique, nous adoptons une stratégie multi circuits sélective, du moment que nos marques peuvent exprimer leur ADN : Eau thermale Avène est surtout distribuée dans les drugstores (type Watsons ou Guardian) avec un linéaire dédié et un conseil personnalisé. En Chine, nous avons réussi à développer la marque dans un environnement de Department Store premium, voisine de marques de luxe. Et récemment nous avons ouvert un premier Flagship Store à Séoul. Bien sûr, nous restons accessibles pour nos consommateurs, en ouvrant de nouveaux circuits pour la dermo-cosmetique : Travel Retail et e-Commerce.
 

La clientèle asiatique est-elle différente de la clientèle occidentale ? 

Tout le monde devient de plus en plus attentif à la composition des produits de beauté. Mais les consommateurs asiatiques sont très renseignés et sans doute encore plus exigeants. Grâce à des applications, ils vérifient la composition de nos produits « on-the-spot ». Cela ne laisse aucun champ à l’erreur. Notre discours est totalement en phase avec leurs préoccupations car on s’adresse à des peaux sensibles, phénomène par ailleurs renforcé par la pollution urbaine. Les rituels de beauté en Asie sont les plus sophistiqués au monde, nos consommateurs sont exigeants en terme de textures ; nous avons développé des produits spécifiquement pour les peaux asiatiques qui ont rapidement compté parmi nos best-sellers. L’origine Made in France de nos soins reste un gage de qualité. Sur un marché très concurrentiel, la dermo-cosmetique trouve ses lettres de noblesses en Asie.

 

Dans quelle mesure adaptez-vous le discours marketing aux différents pays de la zone ?

Il faut garder une vision stratégique régionale, veiller à ce que l’ADN de nos marques soit préservé en terme d’image, de positionnement, de discours. Mais nous laissons de l’autonomie à nos équipes locales, d’une part parce qu’elles sont excellentes, et d’autre part parce qu’elles connaissent les leviers marketing qui résonnent auprès de leurs clients et leur règlementation locale. De plus, la variété des réseaux sociaux et l’importance des « influencers » dans notre Mix communication nous obligent à nous adapter.

 

Avez-vous toujours voulu travailler dans le domaine de la beauté ?

Lors de ma troisième année de SKEMA, je suis partie en double diplôme à Manchester ce qui m’a permis d’obtenir un Master of Science en Marketing. A 21 ans, ma première expérience professionnelle s’est faite en Allemagne, où j’ai occupé mes premiers postes, notamment dans le groupe ALES (dermo-cosmétique aussi), pendant 4 ans. Cette période a été extrêmement porteuse, grâce à la directrice marketing de la filiale allemande, une manager très inspirante qui travaillait dans une bonne humeur communicative. Elle m’impliquait beaucoup, me faisait confiance, j’ai donné sans compter. Elle m’a transmis l’amour du marketing et sa passion pour les produits. Ce métier a beaucoup évolué d’ailleurs, il est devenu un métier d’expertises multiples.

 

Avez-vous aimé travailler en Allemagne ?

Cela a été une très belle expérience. L’équilibre vie professionnelle et vie privée est très intéressant. J’ai appris l’allemand et chaque langue porte des symboles. Savez-vous qu’en quittant le travail, tous les soirs, les collègues se souhaitent « Schön Feierabend » ? La fin du travail, c'est le début de la fête !


Comment s’est passé le retour en France ?

Je suis rentrée dans le même groupe, comme chef de produit sur le marché français. C’était très différent : une seule marque sur un marché très mature, dans une grosse structure. Mon poste était axé sur le développement des offres promotionnelles. Cela a été compliqué pour moi de m’adapter aux codes français. L’international m’a vite manqué. J’ai pu rebondir et coordonner des filiales à l’étranger, un travail d’accompagnement des équipes. J’ai beaucoup aimé cette fonction car on est à la croisée des chemins entre le développement produits, les marques, l’opérationnel, les services transversaux. Je suis à l’aise dans ce rôle. En 2008, l’occasion s’est présentée pour mon mari de partir en expatriation à Pékin. J’étais enceinte de mon premier enfant. Je l’ai suivi.

 

Vous étiez donc dans le rôle du conjoint suiveur…

Oui. J’ai dû quitter mon travail que j’adorais. J’avais un bébé, je ne parlais pas chinois. Cela a été très compliqué pendant un an. Je me souviens parfaitement avoir vu mon mari quitter notre appartement encore vide un lundi matin, juste après notre arrivée. Avec le bébé dans les bras, je me suis demandé ce que je faisais là ! Il y a eu des moments de solitude et de doute. Tout est compliqué alors il n’y a pas d’autre choix que de passer du temps à installer une vie de famille, recréer des racines, des repères, des habitudes. Le conjoint, lui, est attendu, par son entreprise, il a une place. Ce fossé peut être dangereux. La solidarité entre Français était très forte à Pékin heureusement.
J’ai repris ma vie en main, je me suis mise au chinois et j’ai commencé à chercher du travail. A l’audace, j’ai rencontré le directeur de Pierre Fabre en Chine. Il m’a proposé d’encadrer les équipes de vente à Pékin, une fonction très commerciale que j’ai acceptée, sans regrets car elle m’a ouvert beaucoup de portes. J’ai appris la langue sur le tas. L’instinct de survie fait développer des compétences cérébrales que vous ne soupçonnez pas (rires) ! Cela a été très fort professionnellement et personnellement. Je me demande encore comment j’ai fait !


 Après tous ces efforts pour travailler, vous avez pris une décision qui peut sembler étonnante !

J’ai décidé au bout de 4 ans de faire une parenthèse personnelle. Pendant ma deuxième grossesse j’ai animé l’équipe du bureau de Pékin de Couleurs de Chine, une association caritative qui par parrainages, permet la scolarisation des fillettes de minorités dans le Guangxi. Et j’avais le rêve d’apprendre l’acuponcture depuis longtemps. J’ai suivi une formation à l’hôpital de médecine traditionnelle chinoise de Pékin pendant un an. J’étais animée par l’envie de procurer aux autres du mieux-être et cela pouvait aussi devenir une activité nomade en cas de nouvelle expatriation. Cela m’a aussi permis de mieux comprendre la Chine, et notamment cette capacité qu’ont les Chinois à accepter le changement, à l’accueillir d’une façon positive. Cela remonte à leurs racines, à des codes hérités de la philosophie et de la médecine traditionnelle.


Après 6 ans à Pékin, vous voici à Hong Kong. C’est une ville plus facile ? 

Il fallait quitter Pékin et sa pollution. L’installation à Hong Kong a été beaucoup plus simple. J’ai tout de suite cherché un travail, il y a beaucoup d’opportunités. J’ai trouvé le poste de mes rêves chez Pierre Fabre. C’est une chance de pouvoir dire qu’on aime son travail ! J’aime beaucoup ma vie en Asie. C’est une région du monde très stimulante sur le plan professionnel. Je vis dans des villes énormes, trépidantes, depuis 10 ans, avec beaucoup d’intensité mais il y a en corollaire une certaine fatigue. Cela a un impact sur l’équilibre de vie : moins de congés, des journées longues, de nombreux déplacements. Mais c’est porteur.


Que vous apporte l’expatriation au fond ? Vous a-t-elle révélée à vous-même ?

Je pense que oui. Ce n’est pas confortable de changer d’environnement. Cela pousse à se challenger beaucoup par rapport à nos acquis, on n’a pas les codes... J’ai dû m’ouvrir aux autres, me réinventer et cela m’a enrichie, donné de nouvelles compétences. Comme maman, c’est assez extraordinaire de voir ses enfants grandir à l’étranger, cela leur donne une grande tolérance. Je pense enfin que j’aurais mis beaucoup plus de temps à avoir les mêmes responsabilités professionnelles en France, surtout en prenant le temps de faire de l’associatif et de l’acuponcture ! Je conseillerais donc à ceux qui ont une opportunité de départ de la vivre avec enthousiasme et ouverture d’esprit. Mais en même temps, il faut rester prudent : on ne sait jamais si on part pour 2 ans ou 10 ans. Avec l’expérience, je pense qu’il faut penser au retour (réfléchir par exemple à sa protection sociale) même si cela semble très loin, surtout si on est jeune ! Mais sinon, il faut foncer !

 

Propos recueillis par Marie-Parlange (lepetitjournal.com) pour SKEMA Alumni

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