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Regards Alumni Tourisme : comment la France peut-elle rester numéro 1 ?
La barre symbolique des 100 millions de visiteurs internationaux a été franchie en 2024. Un record qui porte les revenus générés par le tourisme à hauteur de 8% du PIB de la France. Mais la première destination touristique mondiale depuis les années 1980 voit pourtant son rang remis en question. Les professionnels du secteur, réunis du 23 au 25 septembre à Paris pour l’International & French Travel Market (IFTM), se reposent donc la question de l’exception touristique française : comment valoriser les territoires sans les saturer, innover sans dénaturer, croître sans épuiser les ressources ?
Deux alumni SKEMA, Laurence Deblonde Buisson (SKEMA 1997), Directrice marketing digital & communicat️ion de Le Voyage Fantastique et Romain Masina (SKEMA 2015), Fondateur & CEO d’Odysway - innovent dans le secteur et nous livrent leur éclairage de pionniers d’une nouvelle ère.
Quels types d’expériences ou de services innovants peuvent enrichir l’offre touristique française sans diluer ce qui en fait la singularité ?
Laurence : « La France dispose d’un patrimoine exceptionnel et d’un art de vivre unique. Innover sans trahir cette identité signifie enrichir l’expérience des voyageurs tout en restant fidèle à ces fondamentaux. Depuis le COVID, les clients cherchent avant tout réassurance et personnalisation, dans un contexte de pouvoir d’achat contraint. Cela explique le succès des offres flexibles, modulables et all inclusive.
L’innovation doit aussi s’appuyer sur l’authenticité : l’exemple italien de l’agritourisme montre le potentiel de la rencontre avec les producteurs locaux. En France, la montée des micro-destinations sur Airbnb, comme la Meuse cet été, illustre la recherche de territoires moins saturés mais riches en expériences sincères. Festivals, gastronomie et rencontres locales répondent à cette quête de convivialité.
La technologie peut compléter l’expérience sans la dénaturer : réalité augmentée pour revisiter les monuments, Intelligence Artificielle pour des recommandations personnalisées. Les agences physiques conservent un rôle clé en combinant conseil humain et outils digitaux.
Enfin, la durabilité reste un défi : selon le cabinet Protourisme, seuls 4 % des voyageurs accepteraient de payer 10 % de plus pour un séjour responsable. L’innovation durable doit donc venir des opérateurs, via le soutien aux micro-producteurs, les partenariats associatifs ou la valorisation de labels crédibles comme Travelife, en racontant sincèrement ce qui est fait, sans surcoût pour le voyageur. »
Quels sont, aujourd’hui, les avantages comparatifs de la France face à des destinations qui misent sur l’hyper-expérience ou le tourisme durable ?
Laurence : « La France n’a pas besoin de concepts spectaculaires pour séduire : son avantage est d’offrir des émotions vraies, ancrées dans son histoire et son art de vivre. Dormir dans un château, participer aux vendanges en Champagne, partager un repas dans une auberge ou découvrir un festival local sont des expériences authentiques qui n’ont pas besoin d’être scénarisées.
Face au tourisme durable, la France adopte une approche intégrée : elle ambitionne de devenir la première destination durable mondiale d’ici à 2030 (CIT, juillet 2025), mais sans opposer durabilité et attractivité. Elle conjugue patrimoine, gastronomie, diversité des paysages et culture locale, permettant au voyageur de vivre un séjour responsable sans renoncer au confort ni à l’expérience.
Cet équilibre renforce sa compétitivité : le tourisme représente 8 % du PIB et deux millions d’emplois directs et indirects (CIT, juillet 2025). En 2024, la France a accueilli 100 millions de touristes pour 71 milliards d’euros de recettes, mais restait quatrième mondiale en matière de valeur. Pour atteindre 100 milliards d’euros de recettes internationales en 2030, elle devra capitaliser sur ce double avantage : authenticité comme hyper-expérience et durabilité intégrée comme moteur stratégique. »
Le tourisme de demain pourrait se construire autour de récits plus humains, plus locaux, plus durables. Quelles opportunités pour la France ?
Romain : « Le tourisme ne peut plus se limiter à une consommation rapide d’expériences. Il doit permettre une forme de partage, d’ouverture, qui passe par des formats plus simples, plus sobres, à taille humaine.
La crise du COVID a confirmé cette prise de recul chez de nombreux voyageurs. Beaucoup ne cherchent plus à enchaîner les visites ou les destinations, mais à vivre des moments qui ont du sens. Chez Odysway, cela nous conforte dans l’idée qu’il faut proposer des expériences qui privilégient la qualité à la quantité, et le lien à la performance. »
C’est aussi là que la France a un vrai rôle à jouer. Pendant longtemps, nous avons cru que l’expérience marquante devait forcément passer par un voyage lointain. Aujourd’hui, nous savons qu’un dépaysement profond peut aussi se vivre à quelques heures de chez soi.
Depuis la création d’Odysway en 2018, notre ambition est de proposer une autre manière de voyager. Un voyage plus conscient, plus respectueux, mais surtout plus ancré dans la réalité des territoires et des personnes rencontrées. Dès le début, nous avons voulu replacer la rencontre au cœur du voyage : prendre le temps d’échanger, de comprendre une culture, un métier, une façon de vivre.
La richesse des régions françaises, la diversité de leurs paysages, de leurs savoir-faire, de leurs modes de vie, ouvrent des perspectives formidables. Nous développons de plus en plus d’expériences locales : suivre les traces des loups dans le Mercantour, vivre quelques jours avec un berger dans le Béarn, partager le quotidien d’un potier dans le Luberon, ou découvrir l’apiculture aux côtés d’un passionné en Corrèze. Ces formats permettent de créer des liens forts, de mieux comprendre notre territoire, et de voyager autrement.
Notre stratégie business va dans ce sens : d’ici 2027, plus de la moitié de nos départs auront lieu en France. Ce n’est pas un repli, nous croyons profondément en un tourisme de proximité, plus durable, plus équilibré.
Le tourisme de demain ne se jouera pas forcément dans la nouveauté permanente, mais dans la manière de regarder autrement ce qui est déjà là. C’est dans cette direction que nous voulons avancer avec Odysway. »
Propos recueillis par SKEMA Alumni. Merci à Laurence et Romain pour leurs contributions.
